Contes I by Mirbeau Octave

Contes I by Mirbeau Octave

Auteur:Mirbeau, Octave [Mirbeau, Octave]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


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La Bouille est, sur la Basse-Seine, un petit village, fréquenté des Rouennais et de gens d’Elbeuf. Il n’a de particulier que cette faveur qui, on ne sait pourquoi, le désigne à la passion des excursionnistes et villégiaturistes départementaux. Par un phénomène inexpliqué, La Bouille leur procure, paraît-il, l’illusion d’une plage et le rêve d’une mer. De Rouen ou d’Elbeuf, on assiste à cette folie des familles partant pour La Bouille, les petits avec des haveneaux et des paniers où le mot « crevettes » est brodé en laine rouge ; les grands, coiffés de chapeaux à la Stanley, armés de lorgnettes formidables, et tout pleins de cette religieuse attention que donne la promesse des grands horizons maritimes et des bonnes prises salées. Or à La Bouille, la Seine n’est pas plus large qu’à Vernon ou à Pont-de-l’Arche. En revanche, elle est y moins accidentée. Elle coule, lente et coutumière, entre deux berges expressément fluviales, que hantent les gardons et les chevennes, poissons terriens s’il en fut. Et cependant, pour peu que vous causiez cinq minutes avec un Rouennais de Rouen ou un Elbeuvien d’Elbeuf, il vous dira : « Comment, vous ne connaissez pas La Bouille !... Mais il faut aller à La Bouille, il faut déjeuner à La Bouille ! La Bouille ! La Bouille ! » Quand il a dit : La Bouille ! il a tout dit. Quand il est allé à La Bouille, il a tout fait. Dans l’arrière-boutique, emplie de la poussière du coton, dans l’asphyxiante odeur de l’usine, La Bouille se présente à son esprit comme une sorte de Nice normande, de Sorrente occidentale, d’île lointaine et féerique, ceinturée de plages d’or et frangée d’écume rose, où sont des fleurs, des poissons et des oiseaux, comme il n’en existe dans aucun coin équatorial.

La vie est pleine de folie, surtout pendant l’été, où elle pullule et se multiplie en d’étranges migrations. Quand on croise les regards des hommes, encaqués dans les wagons des trains de plaisir, empilés comme des tas de charbon sur le pont du paquebot à prix réduit, quand on se demande où ils vont, ce qui les pousse, ce qui les a réunis là, quand on suit leurs gestes si complètement inharmoniques au milieu d’aventure et de hasard où ils s’ahurissent, on éprouve la sensation de vivre une vie de cauchemar, effarante, et pareille à un conte d’Edgar Poë réalisé. Il n’y a pas de meilleure objection à la théorie des causes finales que le déconcertant spectacle d’un départ, ou d’une arrivée de touristes, en quelque endroit que ce soit. Pourquoi y a-t-il toujours, parmi les multitudes en fête et si moroses que dégorgent les bateaux sur les quais hostiles, et qui engorgent les trains, pour des destinations circulaires et perrichonnesques, pourquoi y a-t-il un vélocipédiste, un infirmier et un prêtre ? Pourquoi cette rencontre inévitable et fortuite, dans les foules provinciales, aussi inévitable et aussi fortuite, que celle de l’éternel Chinois perdu dans les foules parisiennes ? Ce Chinois, ce vélocipédiste,



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